Rencontre avec Carmen ECHEVERRIA

 

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Temps de lecture : 11 min

« Il ne faut pas avoir peur de voir grand, [...], si vraiment ce qu’on écrit ça nous fait quelque chose au fond du coeur, du ventre, si vraiment on le sent, c’est que c’est bon... »

En ce mois de juillet 2022, nous sommes partis à la rencontre d’une jeune auteure, Carmen Echeverria. Originaire du pays basque, Carmen effectue une licence en cinéma et audiovisuel à l’université de Bordeaux Montaigne et part ensuite pour Madrid où elle obtient un master en Arts.

Il y a deux ans, elle commence l’écriture de son court métrage OIHARTZUNAK (Echos en basque). Un court métrage qu’elle tournera en mars 2022, 5 mois après son passage en résidence d’écriture à Trégor Cinéma en octobre 2021, après avoir obtenue la bourse en résidence du CNC .

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Carmen Echeverria sur le tournage de OIHARTZUNAK - mars 2022

Ce dernier raconte l’histoire de Maia, une jeune fille de 26 ans native de Ciboure qui habite avec Txema, un garçon de Saint Sébastien du même âge, dans un petit appartement à Bayonne. Maia et Txema forment un couple au bord de la rupture. Un week-end, ils décident de passer du temps ensemble pour renouer les derniers liens qui maintiennent leur relation. Alors qu’ils sont reclus dans leur appartement, une violente dispute éclate à l’extérieur.

Dans ce film, Carmen a voulu dénoncer les féminicides et les violences sexistes.

Dans cette entrevue, elle nous fait part de l’importance de la langue basque pour elle et de son expérience de tournage.

Tu as fait des études en cinéma, audiovisuel, d’où t’es venue l’envie d’écrire ?

C’est un petit peu venu du jour au lendemain, au lycée je savais que je voulais faire quelque chose en relation avec l’art mais je ne savais pas exactement quoi. Je n’étais pas très confiante à ce moment-là et vers 15 ans, l’idée m’est venue ; « tiens je vais faire du ciné » alors que je n’avais aucune idée de ça, je n’avais pas beaucoup de culture cinématographique ni rien. J’ai donc essayé d’entrer dans une fac de ciné et j’ai été prise. C’est un peu là que j’ai tout appris et que j’ai commencé à écrire. Je n’ai jamais écrit étant petite, ce n’était pas du tout quelque chose qui était prémédité. J’ai tout appris à la fac, notamment la culture cinématographique et j’ai appris à écrire de mon côté,... - Après je faisais pas mal de photos toute petite, tout ce qui relevait de l’image ça me plaisait mais l’écriture pas plus que ça donc c’est un peu par hasard fin peut-être pas tant que ça mais l’écriture est venue vraiment tard.

Comment tu t’es retrouvée en résidence du CNC à Trégor Cinéma ?

J’ai commencé à écrire mon court métrage quand j’étais à Madrid. J’essayais de le présenter à la Commission de la Nouvelle Aquitaine, la commission régionale mais ça ne marchait pas. J’avais un producteur qui m’aidait un petit peu mais qui n'était pas vraiment producteur et qui au final est un peu parti de son côté. De ce fait, je me retrouvais toute seule avec mon histoire et je ne savais pas du tout vers qui me tourner, vers quelle structure… Tout à l’air très grand au début (rires) et donc je me disais tant qu'à viser grand, on va regarder ce que propose le CNC. Le CNC c’est un truc qui fait très peur au début, c’est un peu le truc que tu regardes d’en bas. Mais j’ai tenté, j’ai envoyé une version du court métrage en m’assurant qu’il serait en basque et quelques semaines après j’ai rencontré ma productrice avec qui j’ai produit le film, ça s’est assez vite chevauché. J’ai commencé à travailler avec ma productrice et c’est là que la bourse et la résidence sont tombées. On s’entendait très très bien, on avait déjà commencé un gros travail de réécriture mais c’est vrai que la résidence m’a permis de voir une autre manière d’écrire. Les attentes sont différentes, j’ai pu vraiment me concentrer, me retrouver entre toutes les nouvelles versions qu’on avait écrites avec les professionnels, les scénaristes,...- J’ai eu la bourse du CNC et quelques mois plus tard, dès que j’ai fini mon master, je suis partie à la première session d’octobre à Trégor Cinéma.

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Carmen à Trégor Cinéma - octobre 2021

Ton expérience en résidence d’écriture ? Qu’est-ce que t’as apporté la résidence ?

C’est dur, 2 semaines c’est hyper dur parce que c’est d’abord reprendre tout ce que t’as écrit tout en étant en adéquation avec la version que t’as envoyé au CNC qui commence à dater. Dans mon cas il y avait déjà une réécriture dessus donc j’ai du revoir une ancienne version dans laquelle j’avais rajouté beaucoup de trucs et dans laquelle il y avait beaucoup de choses qui avaient bougé; ça m’a permis de déconstruire vraiment chaque idée, pourquoi chaque choses y sont écrites, qu'est ce qu’elles représentent etc,... ça m’a vraiment donné des outils. Je sais que Fred (directeur artistique de Trégor Cinéma) est très à cheval sur la méthodologie ; au début je ne comprenais pas trop pourquoi, je ne voyais pas trop où il voulait en venir. Et après j’ai compris ; il donnait vraiment des outils hyper pratique pour que après où que tu ailles, n’importe quelle résidence que tu fasses, où que tu travailles, tu as toujours ces outils avec toi qui te permettent d’avancer. D’un côté, tu avances beaucoup moins vite, tu as l’impression en tout cas d’avancer moins vite mais c’est beaucoup plus solide. J’ai vraiment appris toutes ces méthodologies là que je n’avais pas apprise à la fac ; à la fac c’était plus de la recherche et de l’analyse donc vraiment l’écriture je l’ai appris en résidence. Ça m’a vraiment appris à avoir de la rigueur et à me questionner même en tant qu’artiste ; pourquoi tu parles de ces choses là et même à posteriori savoir défendre ses idées.

Peux-tu me parler de ton court-métrage ?

C’est quelque chose que j’avais commencé à écrire il y a deux ans mais comme j'étudiais et que j’avais aucune méthodologie au début, c’était hyper compliqué ; j’écrivais une fois de temps en temps, c’était très irrégulier. Quelques semaines après avoir eu la bourse, j’ai signé avec ma productrice, avec qui j’ai commencé à travailler. Elle a demandé le préachat de la chaîne qui a fait l’appel à projet, que nous avons obtenu directement. On se retrouvait alors avec 20 000 euros ; 10 000 de la chaîne et 10 000 euros du CNC. En quelques mois j’ai tout eu, j’ai eu la bourse, la résidence, la productrice donc tout s’est déverrouillé d’un coup. Suite à la résidence, je devais normalement redéposer le dossier mais j’avais déjà 20 000 euros et c’est un tout petit court métrage de 12-13 minutes donc ma productrice et moi ne voulions pas attendre 1 an de plus pour tourner. En plus de ça, les commissions étaient hyper bouchées à ce moment-là. J’étais assez consciente du fait que c’était un premier court métrage, c’était un petit projet qui avait encore ses défauts mais je sentais qu’il fallait que je le fasse ; j’avais peur de perdre le souffle, que l’élan se perde, l'envie et même c’était un moment où je n’avais pas trop de contraintes pro donc je me suis dit qu’il valait mieux que je le fasse maintenant. Avec la productrice, on a décidé de commencer à chercher les acteurs etc. On a vite enchaîné et là on a fini, on a même commencé à envoyer à des festivals etc.

Pourquoi vouloir raconter cette histoire, d’où t’es venu l’idée de départ ?

Un jour, un de mes professeurs m’a raconté l’histoire d’une jeune fille qui s’est faite violée en bas de son immeuble, dans la rue. Le lendemain, quand les policiers ont fait le tour des voisins pour recueillir des témoignages, tous les voisins disaient qu’ils avaient bien entendu quelqu’un mais personne n’avait rien fait. Je ne comprenais pas comment c’était possible, vraiment je me disais que ce n’est pas possible et ça m’a trotté dans la tête un moment. Le fait je pense, d’avoir commencé à écrire c’était une manière pour moi d’essayer de comprendre pourquoi ce genre de choses arrivent, pourquoi ces phénomènes-là se passent et pourquoi ça parait hyper normal pour tout le monde et en même temps normal pour personne mais que personne ne fait rien. Quand mon professeur m’expliquait ça il disait « c’est la faute de personne » mais je disais « si c’est la faute de personne, c’est la faute de tout le monde. » Ça m’a fait me poser trop de questions. J’ai donc commencé à écrire du point de vue d'un témoin ; pourquoi des fois tu ne fais rien, pourquoi tu as tes propres soucis, tes propres peurs, une légitimité à ne rien faire ? Ce n'est pas seulement parce que tu es un connard et que tu n’as pas d’empathie, des fois c’est un éventail plus large que ça. C’était donc à partir de cette petite histoire qui me trottait dans la tête que j’ai commencé à écrire pour essayer de l’apprivoiser.

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photo de tournage - mars 2022

Tu as choisi de faire un court métrage en basque, quelle était l’importance pour toi de le produire en basque ?

Au début je ne savais pas trop, j’avais même un peu peur de l’écrire en basque. Je me disais que ça allait être beaucoup plus compliqué pour les subventions, qu’il y a moins de techniciens ou peut-être des gens moins qualifiés et dès qu’il y a moins de personnes, on se dit qu’on a moins de chance. Je n’étais pas très sûre de moi et même ma productrice m’avait dit qu’on allait essayer de le faire mais que si ça ne marchait pas on le ferait en français. Juste à ce moment-là, on a reçu l’aide de la chaîne basque et ça m’a sauvé, j’étais trop contente d’avoir cette légitimité là de me dire ok si on a les subventions, on peut le faire en basque et je peux m’affirmer. J’ai appris le basque depuis toute petite, il faut savoir que le pays basque comporte une grande partie en Espagne et une petite partie en France, j’habite à 15 minutes de la frontière avec l'Espagne. J’ai été à L’ikastola, l’école basque, j’ai étudié là-bas jusqu’au lycée et au lycée j’ai changé. Quand je suis arrivée à Madrid et que je disais que je venais du pays basque, beaucoup de gens ne savait pas qu’il y a une partie en France et j’ai trouvé ça dur, j’étais là « si si on existe en fait »... C'était hyper compliqué de savoir où me mettre parce qu’en France je suis du pays basque mais il y en a qui pensent que je suis espagnole et en Espagne, les gens ne connaissent pas le lieu où j’ai grandi. De ce fait, il n’y a pas vraiment de « cases » pour les gens de ma région.

Mais aussi au niveau de la langue ; le basque c’est une langue orale donc chaque village a un peu son propre « dialecte », ses expressions, ses nuances et il n’y a pas du tout de productions audiovisuelle en basque du côté espagnol alors que du côté français il y en a énormément mais ce n’est jamais le basque que je parle ou que j’ai étudié ou que mes parents parlent. Dans le film ce n’est peut-être pas évident si on n'est pas basque mais le personnage féminin parle mon basque et le personnage masculin parle le basque qui est parlé vers Bilbao. Ce sont des basques complètement différents et je voulais faire un couple qui incarne ces deux pôles là qui ne sont jamais représentés.

Si j’ai décidé de le faire en basque c’est pour représenter quelque chose qui est ma réalité à moi, que je n’ai jamais vu au cinéma et que j’ai voulu visibiliser.

Tu parlais d’un tournage à distance, comment as-tu vécu toute la chaîne de production du film ?

Déjà c’était un peu compliqué le fait que les gens ne parlent pas basque mais d’un autre côté j’étais surprise parce qu’il y avait énormément de gens qui participaient au projet qui étaient vraiment hyper contents d’y participer ; pour eux c'était quelque chose de nouveau, ils n’avaient pas forcément vu ça, c'était une nouvelle expérience. J’étais contente de voir que même si ce n’était ni leur univers, ni leur culture, qu’il y avait un intérêt pour faire ce projet là. Ça m’a grave conforté dans mon idée de le faire….

Après c’était compliqué au niveau du tournage ; certains parlaient espagnol, tout le monde parlait un peu basque et français sauf l’acteur qui vit du côté de Bilbao, qui lui, ne parlait pas du tout français, il ne parlait qu’espagnol ou basque et anglais mais très peu donc la communication était compliquée. On était une petite équipe, c’était 3-4 jours de tournage donc ça allait mais pour un tournage il faut beaucoup beaucoup de communication et énormément de préparatifs. Il fallait vraiment une attention envers tout le monde pour s’assurer que chacun ait bien compris ce qu’il devait faire. Souvent on parlait 3 langues ; quand je dirigeais les acteurs, je dirigeais en basque mais des fois quand le mot ne me venait pas en basque je le disais en espagnol ou en français donc c’était énormément d'efforts. Mais d’un côté c’était hyper beau de voir pleins de langues et de se rendre compte au final que tout le monde était là pour la même cause. La gestion de la langue c’est ce qui m’a fait le plus peur sachant que la productrice ne parlait pas du tout basque et très peu espagnol. Elle m’a fait énormément confiance et j’ai dû faire pas mal de choses de production parce qu’elle ne pouvait pas le faire du genre des factures, des papiers en basque, téléphoner à des gens mais c’était ok parce qu’on savait que ça allait être comme ça. Donc voilà le tournage était super mais hyper épuisant.

Après la post-production c’était beaucoup plus compliqué parce que la monteuse ne parlait pas basque, le mixeur non plus donc il fallait que j’explique à tel moment ce que ça voulait dire pour pouvoir mettre tels ou tels sous-titres, c’était un peu compliqué. Ce qui fait que ça fait trois mois qu’on est dessus alors que ce n’est qu’un plan séquence donc normalement il n’y a pas trop de post-prod. On m’a dit plein de fois que le plan séquence c’était pas une bonne idée, j’ai voulu le faire et a posteriori je me dis bon, on aurait peut-être pas dû le faire. Mais ça aussi c'était un peu un challenge que je m’étais mis. Il y a des choses que maintenant j’aurais fait différemment mais je suis quand même hyper contente de l’avoir fait comme ça et je pense que ça lui donne quelque chose de particulier, une espèce de direct que je voulais vraiment ; c’est treize minutes de films et c’est treize minutes de ce qui se passe dehors, c'est pour ça que c’est aussi important pour moi. Mais c’est vrai qu’au niveau technique pour un premier film c’est un énorme challenge. J’ai accumulé le fait de le faire en basque, de faire un plan séquence (rires) mais bon j’ai appris de ça aussi. 

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photo de tournage - mars 2022

Quel conseil tu pourrais donner aux personnes qui voudraient se lancer dans l’écriture ?

Si ce sont des personnes comme moi qui ne sont pas du tout méthodologiques, je dirais d’essayer d’apprendre les outils d’écriture et de faire preuve de régularité, tout ce que je ne suis pas finalement (rires). Et quand on est peut-être très régulier, il nous faut un peu plus de folie (rires) mais il n’y a pas de secret, c’est de la régularité, de la discipline. Et puis aussi ne pas avoir peur de voir grand, si vraiment ça nous plait, si vraiment ce qu’on écrit ça nous fait quelque chose au fond du coeur, du ventre, si vraiment on le sent c’est que c’est bon parce que vraiment le dossier que j’ai déposé au CNC, il était claqué, il n’était pas du tout bien écrit mais il y avait vraiment un truc que je voulais défendre. Au début c’est nul, c’est toujours nul mais si il y a le truc, que tu sens vraiment, que t’es hyper honnête avec toi même, plus tard il y aura des gens qui vont t’aider à écrire, des gens qui vont être là pour t’aider à développer et puis toi il te faut beaucoup de temps aussi pour que les choses mûrissent.

Le mot de la fin ?

Merci beaucoup ! - L’écriture c’est quelque chose de hyper solitaire mais il y a un moment donné quand le projet commence « à voir la lumière au bout du tunnel », on se rend compte qu’il y a énormément de gens qui s’y intéressent, énormément de gens que ça touche et c’est super parce que ça crée vraiment de superbes connections. Merci beaucoup à Trégor Cinéma qui m'a énormément aidé, vraiment sans ça je n’aurais pas pu, ça aurait pris une autre tournure, vraiment merci !

Une interview réalisée par Manon Hénaff

© Trégor Cinéma juillet 2022